L’artigue

Après avoir vu, dans un précédent billet, les toponymes issus du gaulois bodica désignant une terre gagnée par le feu sur les bois et les broussailles, je m’intéresse aujourd’hui à un autre mot du domaine occitan de sens quasiment identique : artiga. Le sens en est un peu plus élargi puisqu’il s’agit là de défricher non seulement par le feu mais aussi par simple abattage des bois, généralement sur une pente pour l’affecter à la pâture ou la culture. Le mot équivaut donc d’une certaine manière à l’essart de la France septentrionale.

Le même mot artiga existe en espagnol où il désigne une terre récemment défrichée, une novale et est accompagné du verbe artigar, « retourner un terrain pour le cultiver, après avoir brûler les buissons et les branches d’arbre qui s’y trouvent ». L’appellatif occitan et espagnol est issu d’un terme artica généralement reconnu comme ibère ou aquitain, dérivé du basque arta, arte, « chêne vert», d’où « broussailles ». On rapproche de cette même racine l’ancien béarnais artigal, « petit défrichement par le feu » aux XIè et XIIè siècles, le pyrénéen artigau, « grange située dans une clairière de défrichement où on entrepose le foin », le landais echartiga, « essarter » et l’auvergnat et limousin artièra, « défrichement ».

Artigue et ses variantes sont à l’origine de nombreux toponymes, très majoritairement dans le Sud-Ouest, dont plus d’une dizaine de noms de  communes, mais aussi de divers patronymes, désignant celui qui habite un endroit ainsi nommé, devenus à leur tour toponymes lorsque leurs porteurs ont donné leurs noms aux lieux de leur nouvel établissement.

Les communes

Parmi les noms de communes, dix se présentent sous une forme simple : Artigue (H.-G.), Artigues (Ariège, de Artiguis en 1233 ; Aude, de Artigis en 1360 ; Hautes-Pyrénées, de Artigas en 1313 ; Var, Artiga en 994), Artigues-Près-Bordeaux (Gir., Las Artigas en 1160) et Les Artigues-de-Lussac (Gir.) ainsi que l’ancienne commune d’Artigues aujourd’hui dans Moncrabeau (L.-et-G.). L’agglutination de l’article a donné son nom à Lartigue (Gers et Gironde).

Quatre autres noms comportent un déterminant destiné à éviter les homonymies : Artigueloutan (P.-A., Artigueloptaa en 1385 que E. Nègre interprète loengta(n)e, « lointaine», tandis que M. Grosclaude [Dictionnaire toponymique des communes du Béarn, 1991] y voit un diminutif artigalota), Artiguelouve (P.-A., Artiguelobe vers 1220, où la « louve » garde tout son mystère : s’agit-il de l’animal, du gaulois *lopo-, « eau, lac » ou de l’oronyme pré-indo-européen *lup ?), Artiguemy (H.-P., de Artigamino en 1300, avec le gascon minor, « plus petite »). On peut ajouter à cette liste l’Artiguelongue qui apparait dans le nom de Saint-Antoine-d’Artiguelongue (Gir., de Artigiis au XVè siècle, complété avec « longue » évoquant la forme allongée du terrain défriché). Le Mas-d’Artige (Creuse) utilise quant à lui l’artigue comme déterminant – ici dans sa forme nord-occitane avec passage du g au j.

Le terme apparait suffixé dans le nom d’Artigat (Ariège, Artigatum à l’époque romaine).

Enfin, une forme masculine au pluriel apparait dans le nom d’Artix (Ariège, Artizum en 960 et P.-A., Artits en 1286).

CPA-Artiguelouve-chateau

Les lieux-dits

Les noms de lieux-dits formés sur la base artiga sont, on s’en doute, bien plus nombreux : Charles Higounet a dénombré 138 noms de lieux issus d’artiga dans le seul département de la Gironde (cité dans Histoire de la France rurale, t.1, ouvrage collectif, Le Seuil, 2018). Il ne sera bien sûr pas question de tous les citer ici mais de passer en revue les différentes formes qu’ont prises ces toponymes. Je ne m’intéressai ici qu’aux lieux-dits habités, les autres étant beaucoup trop nombreux.

Les noms les plus courants sont bien entendu (L’ ou Les) Artigue(s) ou, en Auvergne et Limousin, (L’ ou Les) Artige(s). Ces noms sont parfois accompagnés d’un déterminant comme Artigue-Bieille (à Puyoö, P.-A., « vieille ») ou Artigue-Longue (à Campsas, T.-et-G.). Le plus souvent, ce déterminant est agglutiné comme pour Artiguebieille (à Campagne, Landes), Artiguevieille (à Cudos, Gir. etc.) qui se distinguent de l’Artiguenave (la « nouvelle artigue » à Lannes, H.-G. etc.), de l’Artiguenabe (Eyes-Moncube, Landes) et de l’Artiguenau (le Bourg, Gir.) et comme pour Artiguemale (à Alos, Ariège etc.), Artiguepla (Bonac, Ariège), L’Artiguelonge (Milhas, H.-G. ; ),  Artiguebère (Ruffiac, L.-et-G., avec le gascon bèra, « belle »), Artiguedieu (ancienne commune aujourd’hui rattachée à Seissan, Gers, dont le dieu indique que l’endroit était propriété d’une communauté religieuse), Artigue-Martin (à Saint-Vincent-de-Paul, Gir., avec le nom du propriétaire). Plus rarement, c’est l’artigue qui sert de déterminant comme pour le Moulin de l’Artigue (à Lastours, Aude, etc), le Bois de l’Artigue (à sautel, Ariège etc.), le Château Artigues (à Foulayronnes, L.-et-G.), etc.

Artiguelongue

La chapelle d’Artiguelongue à Loudenvielle (H.-P.)

Dans les zones où le g passe au j, on trouve des noms comme l’Artige (à Saint-Denis-des-Murs, H.-Vienne, de Artigia en 1285 ; Linards, H.-Vienne, etc.) ou les Artiges (à Saint-Privat, Corrèze, etc.)

Ajoutons une douzaine de Malartic (Bazens, L.-et-G., Izon, Gir. etc) et un Malartigues (à Saint-André-d’Allas, Dord.), où le défrichement ne s’est sans doute pas révélé aussi profitable que prévu.

Le diminutif est représenté par Artigolle (à Thèze, P.-A. etc.) et Artigolles ( Casteljaloux, L.-et-G. etc.), de l’occitan artigòla, « petite artigue » ainsi que par Artiguillon (à Saint-Germain-d’Esteuil, Gir., diminutif en –ilhon), tandis que l’augmentatif en –às apparait dans L’Artigas (à Maisons, Aude etc.) et dans quelques Artigeas (Saint-Julien-le-Petit, H.-Vienne ; Châtre, Dord. etc.) ainsi que dans Artias (à Retournac, H.-L., Artigiae et Articas vers 1040 et Artias en 1254).

La variante masculine artic et son dérivé artigal semblent s’être spécialisés pour désigner la bande de terre délimitée par un ou deux cours d’eau, sans doute par glissement du sens de « terre neuve » à celui de « terre alluviale ». On trouve ainsi des lieux-dits Artix (à Senaillac-Lauzès, Lot, Artisium en 1317), Artis (à Montpeyroux, Av., Artis en 1415 ;  Saint-Côme, Av. ; Sadeillan, Gers, etc.), Les Artis (Broquiès, Av., in Artices en 942, etc.) ou encore Les Artys (à Compeyre, Av. etc.). Le dérivé artigal a servi à nommer L’Artigal (à Cabrerolles, Hér.), les Artigals ( à Saint-Sever-du-Moutier, Av.), l’Artigalet (à Sauvimont, Gers) et les Artigalets (à Belbèse, T.-et-G.).

Issue de la suffixation en –ière de l’occitan artiga, la forme artiguièra a donné Artiguère (à Clarac, L.-et-G) et Artiguères (à Benquet, Landes) ; elle a perdu la qualité occlusive du g devant la diphtongue pour passer à artièra qui se retrouve dans les noms des Artières (Aguessac, Av.) et de Les Artières (à Compeyre, id.).

Enfin, par transfert du nom de l’un à l’autre, l’artigue a pu servir à nommer des cours d’eau, le plus souvent comme déterminant dans le Ruisseau d’Artigue (à Bardos, P.-A. etc.), la Font de l’Artigue d’en France (à Prats-de-Mollo-la-Preste, P.-O.) ou la Fontaine d’Artigue (à Ferrère, H.-P.), mais aussi directement comme l’Artigue, un affluent du Vidourle dans le Gard, l’Artigue un ruisseau qui court à Mayronnes dans l’Aude, L’Artiguet qui arrose Lasseube dans les Pyrénées-Atlantiques etc. Plus au nord, on trouve le Ruisseau d’Artige (à Sillars, Vienne ; à Valvignères, Ardèche) ou encore le Ruisseau d’Artigeas (à Saint-Julien-le-Petit, H.-Vienne).

Les patronymes

Comme expliqué plus haut, beaucoup de ces toponymes ont été utilisés pour nommer leur habitant, propriétaire ou exploitant et ont pu redevenir toponymes lors de l’établissement de ce dernier sur un nouveau territoire.

On trouve des noms de famille comme Artigue(s), Artige, Lartigue, Lasartigues, Artiguelongue, Artiguebieille, Artiguevieille, Artiguenave, Artiganave etc. mais aussi comme Dartigue(s) ou encore Dartiguenave dont la préposition de agglutinée indique bien la provenance de leur porteur. Pour les lieux portant un de ces premiers noms, l’hésitation peut se faire entre un toponyme originel ou un patronyme importé. Le doute n’est en revanche pas permis pour les deux derniers patronymes qui ont donné des lieux-dits Dartigues (à Parentis-en-Born, Landes et Doulezon, Gir.), Dartiguelongue (à Labatmale, P.-A.) et Dartiguenave (à Saint-Martin-de-Seignanx, Landes).

Sur la variante artigal ont été formés les noms de famille Artigal, Artigau (avec l final vocalisé), Artigaud, Artigaut, Artigault (avec attraction des finales –aud, –aut et –ault des composés germaniques), Lartigau, Artigeau (du nord-occitan, avec palatalisation du g en j), Artigalas (avec –às augmentatif), Artigalon (diminiutif en –on) et Artigalot (diminutif en –ot). Si les deux premiers d’entre eux ont pu fournir plusieurs toponymes Artigal et Artigau(s ou x), les autres ont été moins productifs sauf Artigaut (Rieux, H.-G. et Ayguetinte, Gers), L’Artigault (à Lezay, D.-Sèvres), Lartigaut (Biaudos, Landes etc.), Artigalas (Sers, H.-P.) et Lartigalot (à Cérons, Gir.).

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La devinette

Il vous faudra trouver un cours d’eau, dont le nom est lié au mot du jour, qui traverse neuf communes dont le chef-lieu du département de France métropolitaine avant de se jeter dans une grande rivière qui donne son nom au département voisin.

Son nom sert de déterminant à celui de la commune rurale où il termine sa course, qui est ainsi différenciée de deux homonymes dans le même département.

Le nom de cette commune rappelle qu’on y a trouvé d’anciens tombeaux.

Le nom du chef lieu de canton où se situe cette commune montre qu’on y trouvait de l’eau un peu partout. Il en existe un parfait homonyme dans un autre département.

Des indices ?

■ pour le chef-lieu du canton :

indice-a-21-04-2024

■ pour le chef-lieu d’arrondissement :

indice-b-21-04-2024

Réponse attendue chez leveto@sfr.fr

8 commentaires sur “L’artigue

  1. Bonjour m Leveto

    voici ma liste du lundi  :

    04  VERDACHES

           werdach  ? verdesco , bardesco ,   forteresse en bois ?

           de verdachis   1055

           COL de CHARCHE

           Col de CHARCHERIE  <charcheriyes

            forêt de charcherie

    La Charcherie

      04  Seyne-les-alpes  charcherie

    Charcherie

    —-

    04  le mont BLAYEUL

    30 GAGNIERES

         Gagnère <  gagna < guaniar ?

           GAGNER  ( franchir , remporter )

          mines de charbon

    39 ARINTHOD

       arinthold

       aratum,  arento , arintho arinthoz

    54 le ruisseau LE GREMILLON

    grémille ; gremel , grumel < grumeau

    ( comme  grumeau , à tresserve , question posée l’an passé ? )

    60   SAINTINES

    Sanctinae   » sources sacrées  »   ?

       saint-isle ?    SAINA-INSULA , :

        *  notion de sainteté ( sources christianisées )

           ou

        *   sagna ( marais )

    74  à annecy , quartier de SACCONGES

        comme sacconex ?

    sacconex ( genève )  , selon wiki :

    Le nom de la commune, qui se prononce /lə ɡʀã sakɔnɛ/, se compose de l’adjectif grand, servant à la distinguer du Petit-Saconnex, et d’un nom de personne latin, probablement Sacco, Saccone suivi du suffixe celtique acum, qui désigne un lieu. Il désignait donc un domaine détenu par un Sacco, sa famille ou son clan.

    Sa première occurrence écrite date de 1128, sous la forme de Saconai. La commune se nomme Le Grant-Saquenèx en patois genevois

    74  à faverges-seythenex

          PRAFEU    : pré —  ??

    88  GELVECOURT-et-ADOMPT

        Gelvécourt  : un autre gelucourt ?  ( question  récemment posée )

    ADOMPT  < adonis domus ?

    88   LES ABLEUVENETTES

         la grande aublevenay

         albuvisnei 1148

         albevenel   albuvenne 1147 

         les aubieuvenettes

    merci , bonne semaine studieuse .

    J’aime

  2. echogradient73

    ■ 04  VERDACHES

    werdach  ? verdesco , bardesco ,   forteresse en bois ?

    de verdachis   1055

    ► Selon E. Nègre, de Verdachis en 1055 est le pluriel de l’occitan bardesco, ou verdesco, désignant une forteresse en bois, qui a donné en nord-occitan verdescho.

    Peut-être est-il cependant plus sûr de suivre X. Delamarre (Noms de lieux celtiques de l’Europe ancienne, éd. Errance, 2021) qui voit dans Verdaches un ancien *Viridascon, « domaine de Viridos ». Ce dernier nom, sur un thème *virido, « loyauté, courage », est bien attesté dans des inscriptions aussi bien comme nom de personnes ou de personnages historiques que de divinités.

    NB : le site de la mairie propose un texte signé É. Guerrier à propos de la toponymie de Verdaches ( https://verdaches.jimdofree.com/histoire-et-patrimoine/ ) qui est à prendre avec des pincettes. L’auteur commence par réfuter le sens généralement donné à Mardaric de ruisseau malpropre, essayant de faire passer ce nom pour un composé gothique  (en s’étonnant d’ailleurs lui-même qu’aucun personnage de ce nom n’ait laissé de trace). Mais le nom du Mardaric, qui n’est qu’une variante de Merdaric, vient tout simplement du latin merda accompagné du double suffixe –aricu, comme je l’expliquais dans ce billet https://vousvoyezletopo.home.blog/2022/07/31/merdanson-etc/. et dans celui-ci : https://vousvoyezletopo.home.blog/2013/03/24/de-quelques-rus-malpropres/

    Dans le même article, le nom de Verdaches est expliqué lui aussi par un composé gothique sur une base *wer, « fortification défensive » suivie de dach, « toit » … L’auteur oublie un peu vite que le w gothique puis francique, imprononçable par les populations gallo-romanes, a évolué en gw puis en g (d’où *wer donnant « guerre ») : *wer-dach serait plus sûrement devenu *guerdach.

    Il est par ailleurs intéressant de remarquer que l’article en question est intitulé « Éthymologie » : peut-on faire confiance à quelqu’un qui confond étymon et éthylique ?


    COL de CHARCHE

    ►Le nom est attesté in Caras au IXè siècle, de l’oronyme prélatin *Kar, prolongé plus tard en *Kar-k, pour désigner la montagne de Charche, entre Auzet et Verdaches (canton de Seyne). Source : Le Polyptyque de WadaldeProblèmes de Toponymie et de Topographie Provençales au IXe siècle

    Page 19 d’un article d’Élisabeth Sauze publié en 1984 https://www.google.fr/books/edition/Provence_historique/AuxnAAAAMAAJ?hl=fr&gbpv=1&bsq=%22charche%22+toponymie&dq=%22charche%22+toponymie&printsec=frontcover

    et page 14 dans la version récemment digitalisée https://www.academia.edu/83492054/Le_Polyptyque_de_Wadalde_Probl%C3%A8mes_de_Toponymie_et_de_Topographie_Proven%C3%A7ales_au_IXe_si%C3%A8cle

    Le même auteur que plus haut voit encore du gothique dans le nom de la Charche (schar, « troupeau, troupe, légion … »), ce qui est contredit par la forme ancienne dont nous disposons.

    ♦ Col de CHARCHERIE  <charcheriyes

    ♦ forêt de charcherie

    La Charcherie

    ♦ 04  Seyne-les-alpes  charcherie

    Charcherie

    ►Charcherie était un petit hameau déjà noté sous ce même nom sur la carte de Cassini (feuillet 152, Embrun, 1779)

    Je rajoute ce lien à ceux que vous avez déjà donnés :

    http://dignois.fr/Seyne-Charcherie/

    mais il n’apporte hélas rien de plus !

    Aucune des hypothèses que l’on pourrait formuler pour expliquer ce toponyme n’est vraiment satisfaisante : un prolongement en –erie du nom précédent, un nom de famille Charche complété par ce même suffixe -erie, une variante de carcere, « prison » …
    —-

    ■ 04  le mont BLAYEUL

    ►Le nom est écrit Blayeux (Sommet 2190 m) sur la carte d’état-major (fin XIXè siècle) qui mentionne tout de même le lieu-dit Blayeul à 1540 m, qui correspond à l’actuel Cabanon de Blayeul, dont le nom est passé au sommet, au ravin, au Bois etc.

    Il semble donc que Blayeul soit un patronyme, peut-être issu du latin Blavius comme pour Blaye en Gironde et dans le Tarn ‒ qui serait ici accompagné du gaulois –ialo, « clairière, village », adopté comme simple suffixe par les Romains.

    J’ai trouvé cette autre explication : « On retrouve le préfixe « Bla » dans Cheval Blanc ou Blayeul, qui forment également des reliefs très allongés. Ce préfixe aurait alors eu la signification de « chaîne » dans une langue prélatine de ce territoire et le terme de Chaîne de la Blanche serait donc une tautologie provenant de l’agglutination de deux termes de langue différente tout comme « Plateau de la Chau » ou « Torrent du Riou » ( https://cnrs.hal.science/hal-03842409/document ), mais j’ai quand même de sérieux doutes, ne trouvant nulle part de trace de ce préfixe *bla au sens de « chaîne ». Charles Rostaing (Essai sur la toponymie de la Provence, 1950) mentionne bien un pré-indo-européen *bl-, donnant le pré-latin *blese, « pente herbeuse très raide entre des forêts ou des rochers » qui serait à l’origine du nom de Blieux (hameau de Senez, A.-de-H.-P., sur un éperon rocheux, Bleus en 1122), du Blac Meyanne, un sommet de 1033 m dans le Var et de Blausasc (à l’Escarène, A.-Mar.) avec le suffixe ligure –asc. Il resterait toutefois à expliquer la finale –ieul.

    ■ 30 GAGNIERES

    Gagnère <  gagna < guaniar ?

    GAGNER  ( franchir , remporter )

    mines de charbon

    ►C’est la Ganière, affluent de la Cèze à Foussignargues (Gard) qui prend sa source à Malons-et-Elze (Ardèche), qui a donné son nom à Gagnières (Gard).

    Pour comprendre ce nom, il faut remonter au latin vadum, « gué, bas-fond » qui a donné le français « gué » et l’occitan ga qui porte l’attraction de wad francique (avec w>gw>g, cf. plus haut). Le dérivé *wadana est à l’origine de l’occitan gana, « petit ruisseau, mare » voire « eau boueuse » d’où les hydronymes Gane et Ganne, noms de plusieurs rivières en Creuse, Corrèze, Dordogne et Cantal. Ce dérivé ne désigne plus le gué mais la partie la plus guéable du cours d’eau, sa portion la plus large et où l’eau est peu profonde. On note également le sens de « mare » et « bas-fond marécageux », dérivés du fait naturel que l’eau des passages guéables est toujours plus calme.

    Paul Fabre (L’Affluence hydronymique de la rive droite du Rhône, Centre d’études occitanes, 1980) a donné la même racine *wadana aux composés en –ièra comme Ganière (nous y voilà!) et Gagnière.

    ■ 39 ARINTHOD

    arinthold

    aratum,  arento , arintho arinthoz

    ► Le Dictionnaire géographique, historique et statistique des communes (…) du Jura. Tome premier : A à Château-Chalon (Alphonse Rousset, 1853) mentionne les formes anciennes suivantes : Arinthoz, Arintho, Arantum et Arinthold, hélas non datées.

    https://archives39.fr/ark:/36595/qrjfgk98mb4z/ae874935-536a-4e5f-95c2-420542d1ef30

    On trouve écrit Arinthot chez Cassini (feuillet 116 , Lons-le-Saunier, 1760). Un rapport avec l’appellatif normand d’origine scandinave thot, « hameau, village » semble cependant exclu géographiquement : cette graphie est probablement due à une mauvaise interprétation du toponyme originel par Cassini.

    Une autre source donne : Arinthod (Jura, arr. de Lons-le-Saunier) : Arintho (capellanus) ;

    Arinthodum (eccl.) et Arinto (eccl.)

    https://www.persee.fr/doc/pouil_0000-0006_1940_mon_7_2

    Une plaquette d’information locale mentionne qu’ « avant le Moyen Âge les Mérovingiens avaient ici un atelier monétaire dont on a retrouvé ailleurs les productions, des triens en or à la légende Argentao, qui serait une ancienne forme du toponyme Arinthod depuis Arento, Arantum ». https://www.calameo.com/read/005800160aea153a11176

    Vous aurez noté le conditionnel.

    ■ 54 le ruisseau LE GREMILLON

    grémille ; gremel , grumel < grumeau

    ( comme  grumeau , à tresserve , question posée l’an passé ? )

    ►Gremillon est en effet donné comme « petit grumeau » dans le dictionnaire de Godefroy, d’où aussi le sens de « petit morceau, petit fragment ».

    Notons également que « grémille », petit poisson d’eau douce, à nageoire dorsale épineuse, appelé aussi perche goujonnière, est un terme régional (Moselle et Franche-Comté) de même radical que grumeau* , l’aspect de ce poisson évoquant peut-être celui des grumeaux.

    ■ 60   SAINTINES

    Sanctinae   » sources sacrées  »   ?

       saint-isle ?    SAINA-INSULA , :

        *  notion de sainteté ( sources christianisées )

           ou

        *   sagna ( marais )

    ►Attesté apud Saintines (1182) et Sainctines (1220) du nom d’homme latin Sanctinius, dérivé de Sanctius  ici au féminin pluriel pour Sanctinas (terras)

    Les formes saint Ynes (1376) ; Saint Aisnes (1450) ; Saint Ygnes (1450) ; Saint Ynes (1454) ; Saint Isle (1475) ; Saint Ines (1490) ; Sainct Ayne (1564) ; Saint-Isnes (1598) ; S. Aines (1720) ou encore Saint Ine (1737) sont des réinterprétations fautives du nom originel.

    ■ 74  à annecy , quartier de SACCONGES

        comme sacconex ?

    sacconex ( genève )  , selon wiki :

    Le nom de la commune, qui se prononce /lə ɡʀã sakɔnɛ/, se compose de l’adjectif grand, servant à la distinguer du Petit-Saconnex, et d’un nom de personne latin, probablement Sacco, Saccone suivi du suffixe celtique acum, qui désigne un lieu. Il désignait donc un domaine détenu par un Sacco, sa famille ou son clan.

    Sa première occurrence écrite date de 1128, sous la forme de Saconai. La commune se nomme Le Grant-Saquenèx en patois genevois

    ►Je ne vois aucune raison de mettre en doute ce qu’écrit H. Sutter sur son site : Sacconges est un « hameau de la commune de Seynod (Annecy, Haute-Savoie), probablement un nom d´origine burgonde issu d´un primitif *Sacconingos, « chez les Sacconingi », dérivé du nom propre Sacco ».

    Il renvoie à Saconnex.

    ■74  à faverges-seythenex

    PRAFEU    : pré —  ??

    ►Feu : ancien français feu, du latin fagus, « hêtre ».

    ■ 88  GELVECOURT-et-ADOMPT

    ♦ Gelvécourt  : un autre gelucourt ?  ( question  récemment posée ).

    ►On trouve ce même nom dès 1380, que E. Nègre rattache au nom de personne germanique Gelvidis + latin cortem. Pour mémoire, Gélucourt (57) est issu du nom de personne germanique Gisalo.

    ♦ ADOMPT  < adonis domus ?

    ►Attesté apud Aldonem au XIIè siècle, que le même auteur rattache au nom de personne germanique Aldo au cas régime Aldon.

    ■ 88  LES ABLEUVENETTES

         la grande aublevenay

         albuvisnei 1148

         albevenel   albuvenne 1147 

         les aubieuvenettes

    ►Dauzat & Rostaing jugent ce nom «  obscur » et il est absent chez E. Nègre.

    Peut-être peut-on envisager un ancien *alba via, de l’oïl aube, « blanche (crayeuse) » et veie, voie, « route, chemin » (cf. les formes de 1147 et 1148 qui auraient subi par la suite une métathèse alb- > abl-). Il existe en Indre-et-Loire (entre Chouzé-sur-Loire et La Chapelle-sur-Loire) un petit port nommé Ablevois sans doute de même étymologie et il existe dans l’Eure une localité du nom d’Aubevoie, attestée Albavia en 1051. Les Ableuvenettes seraient alors un diminutif.

    Autre possibilté : *alba venetta, avec alba, « blanche » et « venetta », diminutif de l’ancien français venne, « vanne, clôture, palissade » ‒ là aussi avec métathèse alb– > abl-. Cf. la commune Venette dans l’Oise (Venetta en 577) .

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